Les peuples autochtones vivent depuis des millénaires sur le continent américain et réussissent à survivre dans un milieu physique assez rude pour ce qui est du climat, de la végétation et des animaux sauvages. Pour se développer de façon à contrôler un continent avant l`arrivée des Européens, il est admis que ces hommes et femmes étaient organisés en groupements et formaient ainsi plusieurs sociétés. Il est vrai que reconstruire l`histoire amérindienne est assez complexe en raison du peu de vestiges retrouvés, soit quelques artefacts et écofacts. La reconnaissance des droits des autochtones, aussi bien au niveau fédéral que provincial, est une lutte interminable depuis plusieurs décennies et les relations n`ont pas toujours été positives. Il faut cependant noter que les gouvernements québécois des dernières années travaillent de plus en plus en collaboration avec les premiers peuples pour les impliquer et reconnaître leurs droits juridiques et territoriaux. Ghislain Otis a écrit un article sur ce sujet et son but est de faire « ressortir la nécessité immédiate, pour la majorité des Québécois, de renoncer à un réflexe historique de subordination constitutionnelle des autochtones ».
Dans La géographie structurale dynamique à la rencontre de l`archéologie, de l`anthropologie et de l`ethnohistoire écrit par Gilles Ritchot, l`auteur examine les Amérindiens d`Amérique du Nord pour analyser « la différenciation régionale des établissements autochtones du Canada oriental à la période des contacts, la signification des mobilités spatiales qui prévalaient en l`occurrence, notamment en rapport avec la dispersion des Iroquoiens du Saint-Laurent pendant la seconde moitié du XVIe siècle » (Ritchot, 1998, p.41).
Pour ce faire, Ritchot explique au lecteur que la discipline qu`il utilisera pour démontrer son hypothèse est la géographie structurale dynamique et qu`il ne peut utiliser plusieurs autres types de géographies comme la géographie historique ou classique car elles sont insuffisantes pour plusieurs raisons, dont le fait que les preuves archéologiques sont insuffisantes pour reconstituer la géographie humaine des établissements autochtones. La géographie structurale dynamique utilise les conclusions de l`archéologie, de l`anthropologie et de l`ethnohistoire avec comme but d`étudier les rapports entre les Amérindiens et le milieu naturel dans lequel ils vivaient et de reconstituer le plus fidèlement possible, sans preuves écrites, les établissements autochtones de cette époque.
Tout d`abord, Ritchot explique que la géographie classique aborde la problématique du rapport entre l`homme et la nature. La discipline explique que pour s`établir, l`homme se doit de fournir un effort pour avoir une prise sur la nature et ainsi exploiter les ressources présentes avec des équipements spécialisés et avec des techniques que l`homme peut reproduire. Il y a alors formation de groupements humains et ceux-ci s`installent où les ressources sont abondantes, ce qui créé des centres, périphéries et un pouvoir politique pour contrôler l`échange de ces ressources.
Par la suite, la spécialisation des techniques de chaque groupe implique la création de régions culturelles distinctes car les petites sociétés se démarquent les unes des autres par le milieu naturel qu`elles exploitent. Cette spécialisation aurait comme conséquence un déséquilibre entre les surplus et les pénuries de chaque société et obligerait ces dernières à faire des échanges avec ses voisins pour écouler ses surplus et combler les pénuries. Cela engendrait, après la création des régions culturelles, la création de régions économiques et d`une administration gouvernementale entre les Amérindiens du Canada oriental. La création de ces deux types de régions créera « l`apparition d`établissements lourds destinés à la régulation des flux économiques » (Ritchot, 1998, p.43). L`auteur cite de nombreux exemples dont celui que les « échanges auraient été inéluctables, afin que les horticulteurs des basses terres aient accès au gibier et que, réciproquement, les chasseurs des hautes terres aient accès au maïs » (Ritchot, 1998, p.43). Cependant, il faut préciser que ces sociétés étaient rivales et que certaines sociétés amérindiennes agissaient de façon neutre et devenaient ainsi des pôles économiques ou transigeaient et s`échangeaient de nombreux produits.
Gilles Ritchot continue en expliquant comment est la vision de la géographie structurale pour ce qui est de l`établissement humain des autochtones : « Ces valeurs profondes (anthropologiques) sont investies spatialement sous le coup d`un interdit universel de propriété ; cet interdit se traduit en trajectoires qui engendrent les positions d`un espace géographique anisotrope […] ; ces positions sont différentiellement valorisées par la rente ; enfin les occupations matérielles ont pour but […] de racheter la valorisation économique des positions » (Ritchot, 1998, p.44).
Ensuite, l`auteur définit les concepts de nomadisme et de sédentarité avec la définition de la géographie classique et il affirme que cette définition est dépassée. En effet, la géographie structurale explique que le nomadisme « sélectif » contrôle leur mobilité et celles des nomades « résiduels » et que la mobilité des sédentaires est contrôlée par les deux types de nomades. Il continue en affirmant que « l`évolution naturelle du nomadisme doit déboucher sur une sédentarisation culturelle » (Ritchot, 1998, p.46).
Ritchot en vient ensuite au cas des Iroquois de la vallée du St-Laurent. Il explique que la position de la géographie structurale qui défend l`idée d`un vacuum, un interdit d`établissements humains sans frontières apparentes, expliquerait la dispersion des Iroquois à cette époque. En effet, l`arrivée de l`homme blanc et le commerce de troc qu`il engendra avec les Amérindiens aurait eu comme conséquence la création d`un vacuum dans la vallée fertile du Saint-Laurent. Les Iroquois de l`État de New York se donnaient le rôle de gardien des interdits fondamentaux et voulaient contrôler les échanges commerciaux. Pour arriver à leur but, ces Amérindiens auraient saccagé les établissements de tous les habitants de la vallée du Saint-Laurent afin de contrôler le marché des échanges. Plusieurs meurtres auraient aussi été commis pour obliger les Iroquois installés dans cette région à quitter définitivement. L`auteur continue en expliquant différentes théories qui expliqueraient la disparation de ce peuple comme les épidémies, une petite ère glaciaire, l`épuisement des sols ou le génocide, mais il les réfute tous. Il explique que les Iroquois de l`État de New York ont vidé ce territoire d`humains sans les remplacer par un autre peuple ; cela prouve que ces gardiens des lieux sacrés ont instauré un vacuum à la vallée du Saint-Laurent. Ce lieu serait en quelque sorte une vallée symbolique et prouve l`hypothèse d`une régulation politique de la mobilité.
(2e partie) Évolution constitutionnelle
L’héritage colonial
Si le Québec est un pays riche et développé en 2010, c`est en grande partie grâce à l`exploitation des abondantes ressources naturelles que le territoire fournit à ses occupants et gouvernements. Que ce soit le bois, les rivières, les matières premières ou le sol, l`homme blanc a exploité la terre comme aucun homme ne l`avait précédemment fait auparavant et cela avec une « marginalisation systématique des collectivités indigènes qui avaient de tout temps occupé et contrôlé, à leur manière, le territoire ». Lors des premiers textes de lois, les gouvernements en place avaient pour simple objectif d`assimiler les premiers peuples en les annexant de façon non violente à la communauté présente. Cela représentait de faibles coûts et le plan pour la création de réserves dans le but de les sédentariser à été mis en place très rapidement. Avec ces Amérindiens dans les réserves, les gouvernements pouvaient exploiter de vastes territoires vierges.
L’ébauche d’une nouvelle relation
Même si les relations vont en s`améliorant aujourd`hui entre les deux peuples, cette ère « positive » a pourtant débuté par une querelle. Lors de la décennie des années 1970, le gouvernement québécois était en pleine expansion dans son réseau hydroélectrique et il est arrivé à la Baie-James dans le but d`y développer le potentiel hydraulique, sans s`entendre avec les Cris qui y demeuraient. Cet affront a été l`élément déclencheur et les « mandataires du gouvernement du Québec ont suscité des poursuites judiciaires et une mobilisation autochtone qui allaient inaugurer une ère de revendications politico-juridiques à l’origine du bouleversement récent des rapports constitutionnels entre les autorités étatiques et les premières nations ».
Les gouvernements avaient estimé que l`"autochtonie" était sur un déclin au début du XXe siècle et ils n`avaient plus trouvé essentiel de mettre à jour leurs vieux traités. Les Autochtones ont donc été en Cour suprême et cette dernière confirma « la persistance des droits ancestraux des autochtones là où ces droits n`avaient pas été validement éteints ». Ce fut une grande victoire pour les Amérindiens et leur pouvoir à la table de négociation, au moment où le gouvernement avait le plus de convoitise pour cette ressources naturelle, fut beaucoup plus grand.
Au lieu d`adopter la position de dominateur et de se confronter avec les autochtones, les dirigeants de l`époque ont été les principaux acteurs dans l`élaboration d`un nouveau genre de traité qui apportait la reconnaissance, une logique de coexistence et le respect pour leurs aspirations et leurs différences. Ils ne les reconnaissent cependant pas encore comme une communauté politique et historique autonome. Ainsi, les Cris autorisèrent les gouvernements à exploiter les ressources hydrauliques en échange de droits exclusifs ou prioritaires sur d`immenses territoires. Il y a aussi début de pourparlers sur les questions environnementales avec les peuples qui vivent dans le Nord québécois, mais cela est fait à petite échelle.
Une jurisprudence de l’interdépendance
Même si la victoire des Cris devant la Cour suprême semble donner d`énormes pouvoirs et droits aux autochtones, le plus haut tribunal estime que son rôle « est d’accommoder les droits historiques des autochtones sans récuser la souveraineté des institutions étatiques considérée comme un acquis intangible de la colonisation ». Cela veut dire que les pouvoirs veulent trouver des terrains d`entente entre les deux parties en les encourageant à la négociation, mais aussi que les autochtones ne se voient pas confier officiellement en tant que nation la majorité du territoire québécois. Il faut cependant comprendre que le gouvernement est aussi « menotté » et qu`il ne peut occuper à sa guise le riche territoire et qu`il en est le seul propriétaire. La Cour a aussi statué, pour éviter des revendications exagérées, que ces société amérindiennes font aussi partie d`une communauté sociale, politique et économique plus large qu`est le Canada.
Vers une alliance postcoloniale ?
Les autochtones sont reconnus officiellement par le niveau fédéral, mais pas encore au niveau provincial. Si la tendance se maintient, c`est véritablement ce qui pourrait se produire et cela entraînerait une nouvelle vague de traités qui seraient favorables aux deux parties et encourageraient un "projet novateur de vivre-ensemble". Si le projet continue de la sorte, il pourrait s`agir d`une véritable révolution dans l`histoire de notre pays car ce dernier « renoncerait sans arrière-pensée à sa posture historique de puissance. Un tel rapport est en réalité impossible dans l’ordre juridique canadien actuel qui tient pour inaltérable la souveraineté étatique et pour irréfutable le pouvoir des gouvernements de contraindre, au besoin, les peuples autochtones dans l’exercice de leurs droits constitutionnels. » Pour donner un exemple de ce que le gouvernement envisage, les Innus seraient sur le point de s`entendre sur la reconnaissance de leurs droits ancestraux à l`autonomie gouvernementale sur un territoire défini selon la loi. Il pourrait s’agir d`un véritable partage de pouvoir qui ouvrirait certainement la voie à d’autres nations. Le plus gros litige est bien entendu les négociations sur le partage du pouvoir en raison de l`impact que cela pourrait engendrer sur l`ordre socio-économique. Les terres attribuées aux Innus seraient séparées en deux classes. La première partie consisterait en un territoire où serait enlevée la tutelle du gouvernement et où seraaient encouragées les premières nations à investir des capitaux pour des fins de développement économique. Le deuxième territoire serait plus vaste et il serait légal de faire des « prélèvement des ressources à des fins alimentaires, sociales, rituelles et, dans certains cas, d’échange de subsistance. Sans exclure a priori les activités de prélèvement des non-autochtones sur le même espace foncier, les droits des autochtones seraient prioritaires ». L`auteur insiste sur le fait que si un tel projet est véritablement approuvé et mis de l`avant, les non-autochtones devront faire une grande remise en question du statu quo.
En conclusion, les principaux jugements émis par la Cour suprême permettent aujourd’hui d’affirmer que les autochtones possèdent des droits ancestraux, dont la grandeur exacte reste à définir, sur d’importants territoires du Québec n’ayant jamais fait l’objet d’un traité réfutant ces droits. Selon l`auteur de l`article, les relations et le dialogue ne feront que s`améliorer entre le gouvernement et les premières nations, peu importe l`avenir constitutionnel de la province. Il ajoute que les Québécois « devront reconnaître le rôle fondateur des autochtones dans la configuration de nos destinées fatalement communes. La société majoritaire est en train d’opérer, à cet égard, un virage parfois douloureux et les autochtones devront reconnaître la difficulté d’un tel changement de paradigme ». On peut donc dire que des défis s`imposent dans les deux clans pour un meilleur avenir collectif et durable. Pour la première partie du texte, il faut conclure que les Iroquois de l`État de New York ont consciemment créé une vallée symbolique en interdisant le peuplement humain dans la vallée du Saint-Laurent afin de « contrôler politiquement le nouveau commerce en voie de s`implanter dans cette direction » (Ritchot, 1998, p.49). Ces Iroquois y voyaient un énorme intérêt et ils tenaient à garder le contrôle sur les populations autochtones pour ce qui est des questions économiques et politiques. Cet interdit de la vallée symbolique aurait servi à distancer les différents acteurs amérindiens, politiquement et physiquement, et aurait ainsi créé de l`altérité et des conflits entre l`Iroquoisie et les nations algonquiennes et huronnes. Ritchot termine en affirmant que la géographie structurale propose de nouvelles théories crédibles, qui rendent compte d`un plus grand nombre de faits.
Mikael St-Louis
Bibliographie
Ritchot, Gilles. La géographie structurale dynamique à la rencontre de l`archéologie, de l`anthropologie et de l`ethnohistoire, Recherches Amérindiennes au Québec, Vol. XXVIII, No 2, 1998, p.41-50